L’ami François avait un problème et s’en fut consulter Maître Jean.

Les études de droit de François en avaient fait un avocat, mais le manque de passion pour la robe ne lui avait assuré ni le succès ni l’épanouissement attendu. Il était alors entré au service d’un lieutenant du roi, tout en s’adonnant à sa passion des poèmes, dont il fit lecture à quelques dames de son entourage. Mais le voici amoureux d’une belle de ce même entourage, laquelle ira épouser ailleurs. Voilà François de nouveau face à ses doutes … mais quel chemin prendre pour trouver son bonheur ?

Tel était le problème de François, du moins le pensait-il.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance :
Dois-je dans la province établir mon séjour,
Prendre emploi dans l’armée, ou bien charge à la Cour ?

Comment faire un choix ? Qui contenter ? L’indécision de François était à son comble …

Si je suivais mon goût, je saurais où buter,
Mais j’ai les miens, la Cour, le peuple, à contenter.

Maître Jean savait François auteur, à ses heures, de belles histoires.  Car le vrai problème de François était de ne pas savoir suivre son inclinaison. Peut-être était-il victime des souhaits de son entourage, qui certes souhaitait le meilleur pour lui, une situation à la hauteur de leurs espérances. Mais François avait ses propres goûts, lesquels demeuraient insatisfaits …

Il s’en fut alors lui en raconter une histoire. Voyez-vous François, un meunier et son fils allaient vendre leur âne un certain jour de foire. Pour que la bête fut à son avantage, le meunier lui lia les jambes. On suspendit l’âne, et le meunier et son fils le portèrent comme un lustre, pensant probablement ainsi épargner à la bête la fatigue du voyage, et la présenter à son meilleur avantage. Mais le premier manant qui les vit ainsi éclata de rire :

Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?

Le plus Âne des trois n’est pas celui qu’on pense.

Ces mots firent leur effet sur le meunier, qui mesura sans doute le ridicule de cette solution. Il décida alors de délier les pattes de l’âne, et fit monter son jeune fils sur la bête. Mais trois marchands qui passaient par là les virent, et exprimèrent leur réprobation. Un jeune homme ne doit-il pas laisser à son père le privilège de s’asseoir ?

Jeune homme qui menez Laquais à barbe grise ;
C’était à vous de suivre, au Vieillard de monter.

Du coup l’adolescent mit pied à terre, et le vieil homme monta sur l’âne. Mais trois jeunes filles qui passaient par là  y trouvèrent à redire, traitant le père de « nigaud, comme un évêque assis ». Vexé, le meunier mit alors son fils en croupe sur l’âne, et il allèrent ainsi leur chemin. Mais au bout de trente pas, une troupe qui passaient par là s’écria :

Ces gens sont fous!
Le Baudet n’en peut plus, il mourra sous leurs coups.
Hé quoi, charger ainsi cette pauvre Bourrique !

N’ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?

Parbieu se dit le meunier, « est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père » …

L’homme et son fils tentèrent alors une autre solution. Ils allèrent alors à pied, et l’âne marcha sans autre chargement. Mais un dernier quidam rencontré sur la route ne manqua pas de s’esclaffer :

Est-ce la mode
Que Baudet aille à l’aise et Meunier s’incommode ?

A ce stade de l’histoire, François ne comprenait pas où Maître Jean voulait en arriver. Maître Jean lui posa alors une question :

  • François, que faites-vous donc pour résoudre votre problème ?
  • Eh bien, j’ai tâté du droit, j’ai flirté avec les lettres, embrassé la carrière publique …

C’est bien ce que Maître Jean avait compris :  François faisait toujours plus de la même chose.  Sa prochaine tentative de solution serait à l’avenant … une autre fonction, une autre déception.

  • C’est que voyez-vous cher ami, plus cela change, plus c’est de la même chose. Pourquoi pensez-vous résoudre ainsi vos atermoiements ? Vous contentez certes père et mère, mais vous finissez par ne contenter personne, et certainement pas vous -mêmes …
  • Certes dit François, je cherche la solution …
  • C’est que voyez-vous, vous êtes comme le meunier et son fils avec leur âne. Chacune de leurs combinaisons aboutit au même problème … votre problème, c’est bien votre solution, de même que le meunier et son fils engendrent un autre problème avec chacune de leur solution : comment obtenir l’assentiment de tous et ne pas passer soi-même pour un âne ! Ah, ces variations sur un même thème …
  • Que faire alors, demanda François ?

Peut-être devriez-vous considérez le fin mot de cette histoire, que je m’en vais vous livrer.

Le meunier avait finalement compris qu’aucune solution avec son âne ne lui épargnerait la réprobation publique. Il était dans une impasse, fort gênante. C’est alors qu’il comprit soudain que son problème ne trouverait résolution que dans une autre façon de voir les choses, et ce fut son exaspération qui lui dicta sa conduite :

Je suis Âne, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ;
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien,
J’en veux faire à ma tête.

Il le fit, et fit bien.

François compris soudain l’inefficacité de ses solutions. Il allait décidément trouver une autre voie, la sienne, car il est vrai, se dit-il, qu’à contenter tout le monde, je ne peux que nourrir mon problème. François décida alors qu’il était temps d’abandonner ses tentatives, toutes  vouées à l’échec.

Quant à vous, suivez Mars, ou l’Amour, ou le Prince ;
Allez, venez, courez ; demeurez en province ;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement :
Les gens en parleront, n’en doutez nullement.

Comme le meunier et son fils, François s’en fut vivre selon ses goûts et à son gré. Il devint chanoine, et ma foi, fut plutôt heureux …

Car voyez-vous chers amis, le problème était la solution. Sortir du cadre, et penser à un autre niveau logique. C’est ainsi que François, et le meunier, avaient trouvé une autre voie …

Samia Khallaf, le 20 décembre 2019

Librement inspiré par Jean de la Fontaine

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