Maître Jean recevait depuis quelques temps Monsieur Lucien, lequel était fort mécontent de sa vie. Rien n’allait plus, des décisions à prendre s’imposaient, il le sentait, il le savait, et son impatience devenait dévorante. Mais il y a loin de ce que l’on sait à ce que l’on fait. Lucien était dans une impasse. D’un travail qui le minait à des amours mortes, sa vie devait changer, décidemment, non, il ne pouvait continuer. Pourtant ses hésitations étaient à la mesure de ses peurs. D’une vie rêvée, il rêvait, sans jamais arriver à atteindre les étoiles de son ciel idéal. Mais trêve d’atermoiements, il fallait bien en sortir ; en ce début d’année, Lucien était plein de bonnes résolutions, et alla de nouveau consulter Maître Jean.
Mais Maître Jean avait du métier, et il avait compris que les rêves de Lucien étaient encore inaccessibles. Il s’en fut donc lui conter une histoire.
- Connaissez-vous Lucien l’histoire du renard affamé ? C’est l’histoire de ce renard, en quête de nourriture, qui, au détour de sa promenade, trouve enfin en haut d’une treille, les beaux fruits qui auraient pu l’assouvir
- Comme moi, répondit Lucien, je suis en quête … mais je ne trouve point encore de quoi assouvir mes attentes
- C’est que vous êtes comme notre renard, cher Lucien … car trouvant ce qui pouvait le satisfaire, le renard passa son chemin…
- Comment ? répondit Lucien, comment, si je trouvais le chemin, ne le prendrais-je pas ?
- Comme le renard Lucien … comme notre renard … vous passez votre chemin car voici son histoire :
« Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand, Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille Des Raisins mûrs apparemment, Et couverts d’une peau vermeille.
Le galand en eût fait volontiers un repas ; Mais comme il n’y pouvait atteindre : « Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »
Comme le renard, Lucien passait son chemin. Maître Jean savait que la douleur de Lucien était moins forte que sa plainte. Pour Lucien, comme pour le renard de maître Jean, les belles grappes ne paraissaient pas encore si bonnes que cela, car il ne pouvait les attraper. Sa réalité, même amère, était encore plus douce, tout de même, que ses rêves étoilés. De ces raisins pourtant couleur vermeille, il avait décidé de se passer car il les voyait encore verts.
- Voyez-vous Lucien, lui dit alors Maître Jean. Vous ne pouvez encore cueillir le raisin … Alors, foin de bonnes résolutions, passez votre chemin, comme notre renard !
- Comment, fit alors Lucien ? Comment … renoncer ? Est-ce donc là ce que vous me dites ?
- Je vous dis cher Lucien que comme Renard, la faim vous tenaille, mais elle est encore supportable … Alors, changer, maintenant ? Vous n’êtes pas prêt !
Lucien s’en alla fort marri … peut-être Maître Jean avait-il raison, avec ses raisins ! Mais que ce diable d’homme était donc pessimiste ! Pourtant … Lucien se résolut à attendre. Il alla dans la forêt, et contempla ces étoiles lointaines qu’il aimait tant. Ne rien faire qu’il ne fut prêt à faire … lui avait dit Maître Jean. Mais bientôt son cœur fut serein, ses yeux virent le ciel autrement, et les étoiles s’alignèrent …
Toujours aussi librement inspiré (et sans autorisation) de Maître Jean de la Fontaine
Samia Khallaf, 1er janvier 2019