Être le chien de quelqu’un …

 C’est intéressant les réseaux sociaux. Désir de communiquer encore plus, justement quand la distanciation physique est demandée, pas la distanciation sociale. Je ne crois pas être accro, mais j’avoue, je les fréquente plus que de coutume. Confinement oblige. Comme tout le monde. Et je me surprends à lire, ce que je ne faisais quasiment jamais, les post, mais surtout les réactions aux post. Et c’est là que cela devient intéressant.

Que les réseaux soient le miroir de notre époque est une chose entendue. Miroir grossissant, déformant, mais miroir quand même. Quand j’allais au jardin d’acclimatation avec mes enfants, je m’amusais beaucoup dans la galerie des miroirs, je me demande d’ailleurs si elle existe encore. Devant le miroir obésifiant, je me regardais en me consolant, mais non je ne suis pas si forte, et pourtant cette déformation me disait quelque chose de moi : voilà ce que tu pourrais être si tu te laisses aller … et je zappais la glace obligatoire avec les enfants.

Voilà ce que tu es. Voilà ce que tu pourrais être.

Tel nous enjoint à apprendre et pratiquer, enfin, le lâcher prise. Encore une nouvelle injonction à la mode de nos temps. Une bonne intention y est certainement. Le post recommande de prendre ce temps qui nous est en définitive imposé. Mais tel lui répond, outré, qu’il n’a pas le temps. « Je fais tout mon chiffre entre février et juin, alors vos leçons, vous pouvez les garder ». Nous sommes tous le moralisateur de quelqu’un.

Beaucoup s’indignent, s’outrent et questionnent. Légitime parole démocratique. Le gouvernement fait-il ce qu’il faut, quand il faut, comme il faut ? Pourquoi si peu d’anticipation ? Peu se souviennent de Roselyne Bachelot, à qui on reprocha d’avoir par trop anticipé une pandémie qui ne vint finalement jamais. Nous sommes tous les oublieux de quelqu’un.

Beaucoup mettent leurs services gratuitement à disposition. Belle solidarité, rien à dire, aucune suspicion d’hypocrisie. Et soudain cette publication : « pour relancer votre business, c’est maintenant qu’il faut agir ». Et de proposer des services de conseil. La réaction est vive. Accusation d’indécence, manque d’intelligence du moment. Nous sommes tous le profiteur de quelqu’un.  

Nous rendons hommage aux soignants. Justesse du geste, respect total. Et ceux de rappeler que notre caissière de supermarché, tout aussi indispensable par les temps qui courent, n’entend pas, elle, des applaudissements qui ne lui sont pas destinés. Donnez-lui donc au moins un sourire, quand vous faites défiler sur le tapis de caisse vos trente paquets de pâtes. Nous sommes tous les ingrats de quelqu’un.

Restez chez vous ! N’allez pas dans nos belles provinces pour y disséminer l’affreux virus. Et tel de répondre qu’il vit dans 35 mètres carrés à Paris, à trois, et d’envoyer copieusement balader le peureux avec un « nous sommes aussi chez nous dans nos villages ». Nous sommes tous l’incivique de quelqu’un.

Et la liste est longue de nos dignités et indignités du moment. Mais la parole, devenue libre, démocratique, est gratuite, dans tous les sens du terme. La mienne aussi. Je serai ici aussi l’imbécile de quelqu’un.  

Voilà ce que tu es. Voilà comme je te vois.

Alors je vous laisse, car à l’heure où je vous écris mon chien me regarde de ces yeux implorants et manipulateurs. Le regard d’un chien est toujours vrai, qui peut y résister ? Il veut sa promenade. Deux fois par jour, quelques minutes, munie de mon autorisation de sortie, avec la bête pour visa, je le sors. A moins qu’en réalité que ce ne soit lui, qui en ce moment, me sorte. Qui est le maître, qui est le chien ? Les rôles se sont inversés, serait-ce un juste retour des choses ?

Et je me dis que nous sommes tous le chien de quelqu’un ….

 

Samia Khallaf, 23 mars 2020, à Paris.

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