Un peu d'histoire

Pour beaucoup, Palo Alto évoque la Silicon Valley, sa célèbre université, Stanford, les noms devenus mythiques de la révolution digitale, et la route des vins californiens…

Mais Palo Alto, c’est aussi le berceau de ce courant de pensée qui en prendra le nom et dont l’inspirateur est de Gregory Bateson, chercheur atypique et insatiable, et dont le génie sera de fédérer autour de lui des personnalités aux compétences multiples, croisant les apports des sciences dures, comme les mathématiques, avec les sciences humaines. Ils y ont révolutionné le champ des sciences humaines, notamment les sciences de l’information et de la communication, créant, dans une interdisciplinarité féconde, un des plus grands courant de pensée de la deuxième moitié du XXème siècle. Pourtant, ces maîtres n’ont jamais utilisé eux- mêmes l’appellation « École de Palo Alto », qui ne s’est imposée que par la suite.

Pourtant, Bateson n’était pas psychologue et encore moins psychothérapeute.  Issu d’une famille anglaise, Bateson était d’abord biologiste, avant de choisir l’anthropologie pour achever sa formation. C’est le destin,  mais aussi un esprit immensément ouvert et éclectique qui le mène en 1948 aux États-Unis, où, sur proposition du psychiatre Jurgen Ruesch, il intègre une équipe de recherche clinique à San Francisco, pour y mener des recherches en anthropologie médicale sur la communication entre un médecin et son patient. Ce premier contact avec l’univers de la psychiatrie nourrira les recherches de Bateson sur la communication, commencée dès l’écriture de sa thèse en anthropologie.  Bateson ne sera jamais psychothérapeute, mais toujours chercheur. De cette collaboration fertile naîtra un ouvrage essentiel « Communication, the social matrix of psychiatry » (1951), où les auteurs jettent les bases d’un passage de l’homme « psychologique » à l’homme « communiquant ». Cette vision annonce celle de l’école de Palo Alto. Ce travail ancre l’intérêt de Bateson pour l’étude des paradoxe de la communication.  

C’est en 1952 que commence le fameux « projet Bateson ». Bateson réunit autour de lui Jay Haley, alors étudiant en communication, l’anthropologue John Weakland, et William Fry, alors étudiant en psychiatrie. Les travaux se poursuivent sous l’égide de la fondation Macy, qui, en 1954, dote le groupe de chercheurs de financements destinés à l’étude de la communication chez les schizophrènes. Cette même année, le psychiatre Donald D. Jackson rejoint le groupe. En 1956, les membres du groupe publient un article commun, « Vers une théorie de la schizophrénie », voué à un destin extraordinaire, et qui posera, d’une certaine façon, les jalons de cette nouvelle approche avec, notamment, le concept devenu fameux de « double contrainte ».

C’est en 1959 que naît le Mental Research Institute, sous l’impulsion de Don J Jackson, et sous la double influence des travaux de Bateson, et du psychiatre Milton Erickson. Centre de recherche, d’application, et de formation, le MRI attirera des personnalités éminentes, dont Paul Watzlawick, à qui on doit d’avoir théorisé l’approche dans de nombreux livres devenus célèbres.  

Mais la naissance du MRI signe aussi la fin du « groupe Bateson ». ce dernier s’en éloigne. Les objectifs de recherche ne sont plus les mêmes. Les intérêts de Bateson restent théoriques et modélisateurs, alors que le MRI, avec Jackson, cherche à développer les débouchés pratiques des travaux menés. C’est aussi à cette époque que d’illustres nouveaux arrivants enrichissent les travaux du MRI : Watzlawick, Virginia Satir, Jules Riskin… l’aventure du groupe Bateson est terminée, le destin de l’école de Palo Alto commence …  

On retiendra de cette histoire la fécondité de l’interdisciplinarité prônée par Bateson. Mais on retiendra surtout que les concepts[1] développés révolutionnent l’approche de toute relation d’aide ou d’intervention sur un système, et les implications en sont vertigineuses. C’est une nouvelle manière de de concevoir l’être humain qui est ainsi développée. En mettant en avant le primat de la relation sur le psychisme, en théorisant la communication comme étant le vecteur essentiel de nos comportements, l’école de Palo Alto défie les pratiques existantes, notamment les pratiques psychanalytiques.

L’école de Palo Alto vient d’abord bouleverser les cadres de la thérapie. En réalité, ses applications rayonnent bien au-delà du simple champ thérapeutique. Elle induit une autre façon de penser, d’appréhender les relations humaines, le changement, et en cela, essaimera sur beaucoup de disciplines par la suite, notamment sur le champ de l’étude des organisations. C’est aujourd’hui un modèle majeur pour de nombreux intervenants dans le cadre du monde du travail.

 

[1] Voir page Concepts

Qui sont-ils ?

Gregory Bateson (1904-1980),  Biologiste et anthropologue.
Le personnage central de l’aventure de Palo Alto. L’éclectisme de ses intérêts et la puissance de sa pensée font de lui un des plus grands chercheurs du XXème siècle. Anthropologue de formation, c’est au cours des recherches qu’il effectue pour sa thèse en anthropologie qu’il observe le primat de la relation et l’importance de l’apprentissage dans les comportements humains. Dès lors, il s’intéressera aux processus de communication. On retiendra de Bateson qu’il fut non seulement à l’origine des recherches ayant fondé l’école de Palo Alto, mais surtout son génie fédérateur, capable de réunir des chercheurs dans une interdisciplinarité très féconde.

Donald D. Jackson (1920-1968),  Psychiatre.
En tant que psychiatre, Don Jackson s’est assez tôt intéressé aux rôles que jouent les relations familiales dans la pathologie de ses patients. Pour lui, la famille agit comme une structure développant des réflexes homéostatiques pour maintenir son équilibre et sa survie, parfois aux dépens même de ses membres. C’est lorsque Bateson l’entend à une conférence sur l’homéostasie familiale qu’il l’invite dans son groupe, dont il deviendra un acteur fondamental. Il est à l’origine de la création de Mental Research Institute en 1959.

Paul Watzlawick (1921-2007),  Docteur en Philosophie, psychothérapeute. .
C’est en 1960 que Paul Watzlawick rejoint, à l’invitation de Don Jackson, le Mental Research Institute, dont il deviendra un des piliers. On lui doit notamment de nombreux ouvrages qui ont contribué au rayonnement mondial de l’approche systémique. L’originalité de son œuvre réside dans un double apport théorique et pratique. Parmi ses nombreux ouvrages, on citera le très fameux « Une logique de la communication », cosigné avec Don Jackson et Janet Beavin, dans lequel il théorise les cinq axiomes de la communication.

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