Bien souvent, lorsque l’on pousse la porte d’un coach ou d’un thérapeute, on est demandeur de changement : changer une situation douloureuse, un lien difficile, « se changer soi-même » … On pourra bien entendu réfléchir à une autre question fondamentale : que changer ? Les individus, ou leur relation au monde ?  Changer ? Vaste sujet, peut-être une illusion ?

Et très souvent, cette volonté de changement est accompagnée d’une question lancinante : pourquoi cela m’est-il arrivé ? Question bien souvent suivie d’un « d’ailleurs, ça m’arrive tout le temps… ».

La question est-elle importante ? Comprendre le pourquoi est-il une condition du changement ? N’est-ce pas le comment qui devrait nous agir ?

C’est que l’individu est un être fondamentalement ontologique, du moins sous nos contrées. La question du sens est une question liée à son identité, à ses valeurs, ses croyances, qui fondent son comportement. Toute question sur le changement est inséparable de la question du sens, et en cela elle ne peut être balayée d’un revers de main. Mais trouver le sens c’est quoi ? Le risque est grand de s’égarer, et comme disait Woody Allen « J’ai des questions à toutes vos réponses » … Le risque est de valider des réponses anciennes, imaginées, de réactiver des mémoires préconstruites, des prophéties auto-réalisatrices …

Les moments où l’on s’interroge sur un changement sont des moments où le sens est fortement remis en cause. Mais s’enfermer dans les pourquoi reviendrait à s’installer dans un « enfer d’interrogations sans fin, ruinant la capacité d’agir (…) L’identité est ce qui ferme le sens, et crée les conditions de l’action. A défaut l’individu moderne tombe en panne, et sombre dans la dépression »[1]. La question du sens est identitaire, et le non-sens est parfois problématique. Et si l’identité est l’opérateur de l’action, qu’on le veuille ou non, nous cherchons à donner du sens à ce qui nous arrive.

Mais donner du sens n’est pas suffisant. Pour changer, la question du pourquoi ne résout rien en réalité. L’identité cherche ses repères dans le passé, alors qu’elle devrait être tournée vers l’avenir. La question du pourquoi n’est pas la bonne question, nous enseignent les maîtres de Palo Alto. C’est un mythe que de penser que la seule compréhension des raisons de nos comportements peut changer notre attitude. Comprendre les « pourquoi » ne nous évite pas l’impasse si fréquente de faire toujours plus de la même chose, et donc d’aboutir aux mêmes résultats. « Nous estimons que, pour une intervention délibérée dans les affaires humaines, l’approche la plus pragmatique n’est pas la question du pourquoi, mais celle du quoi. C’est à dire : qu’est ce qui, dans ce qui se passe actuellement, fait persister le problème, et que peut-on faire ici et maintenant pour provoquer un changement ? »[2].

Car le grand danger de la recherche des causes est d’orienter ses réflexions sur le seul passé, et de rester dans une pensée linéaire, causale, analytique, produit d’une prémisse fondamentalement erronée, qui consiste à penser que si nous comprenons que telle cause a produit tels effets, nous ne nous y laisserons plus prendre.

En réalité, on peut comprendre les pourquoi, et reproduire toujours plus de la même chose. La compréhension du sens n’a d’intérêt que dans le recadrage : recadrer une situation pour lui donner un autre sens, un sens stratégique, utile au changement. Reconstruire le cadre, c’est utiliser la logique d’une histoire pour montrer en quoi elle a conduit à instaurer des réactions, des comportements qui ont pu devenir inadéquats, après avoir été parfois fonctionnels. C’est bien une fois cette histoire recadrée, pensée autrement, que l’adaptation, le changement, peut s’installer. Et l’art du recadrage n’est pas simple.

Toujours Woody Allen : « Mieux vaut réaliser son souhait que souhaiter l’avoir fait » …

 

[1] JP Kaufman, article « L’identité une nouvelle religion ? », dans Sylvie Gruszow, l’identité, qui suis-je ? éditions Le Pommier, Cité des sciences et de l’industrie, 2006

[2] Watzlawick Paul, Weakland John, Fisch Richard, Changements, paradoxes et psychothérapies. Seuil Points Essais, 1975

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