Dans un précédent article[1], je vous rapportais l’histoire d’un manager très contrôlant à qui on conseillait d’introduire une dose de lâcher prise dans ses interactions avec ses collaborateurs[2].  Mais comment changer la perception de quelqu’un qui est persuadé, légitimement, d’avoir trouvé la bonne solution, alors même que c’est cette solution qui est devenue le problème ?

En recadrant sa perception. C’est tout simple, et c’est compliqué. Recadrer[3], c’est changer le cadre. Comme pour ce tableau que vous avez retrouvé dans le grenier de votre grand-mère, qui est moche … mais qui redevient sublime une fois remis dans un cadre plus conforme à vos goûts, cadre moderne qui le remet au goût du jour et vous parle, car avec ce nouveau cadre, le tableau lui-même vous apparaît sous un angle nouveau.

L’art du recadrage dans l’approche systémique consiste à changer le regard sur une situation. Il ne s’agit pas de prime abord de changer cette situation, encore moins de la critiquer, mais de donner à voir un autre éclairage sur ce qui se passe. Ainsi, décrypter le message implicite que ce manager envoyait explicitement à ses équipes faisait-il partie de ce recadrage : en leur adressant encore et encore une injonction au résultat et à la perfection, le message envoyé n’est-il pas une sorte d’accusation d’incompétence ? Vu comme ça, le manager commence à accepter de changer.

Quel rapport avec le lâcher prise en entreprise ? Si le contrôle est une des fonctions du manager, la solution qui consiste à faire un excès de contrôle est le problème. Et c’est probablement vrai pour toutes les sphères de la vie, car à chaque fois que nous voulons absolument aboutir à un résultat, nous avons tendance à y aller avec un marteau pour enfoncer le clou. Le lâcher prise recommandé crée alors une sorte de « vide » créatif, un espace que les collaborateurs peuvent enfin emplir de leurs initiatives, y compris de leurs erreurs. Elles deviennent partie prenante du contrat du moment qu’ils ont exécuté leurs tâches, et à partir du moment où ils savent que les succès comme les échecs font partie du package de la vie.

Recadrer est donc une des clés de voûte de l’approche systémique. Et l’humour est peut-être le roi du recadrage. L’humour en entreprise ? Mais oui, l’entreprise est aussi le lieu du rire. Et le rire est en soi un recadrage, qui apporte l’ultime distanciation.

« Quiconque prétend s’ériger en juge de la vérité et du savoir s’expose à périr sous les éclats de rire des dieux puisque nous ignorons comment sont réellement les choses et que nous n’en connaissons que la représentation que nous en faisons ». Albert Einstein

C’est au hasard de mes recherches que j’ai été amenée à découvrir le travail de Daisy Croquette[4], clown d’entreprise ! Clown en entreprise ça existe ? Pas vraiment, on en rêverait, Daisy Croquette l’a fait.

Voici la belge histoire de Daisy.

Comme le fou du roi autrefois, le clown intervient en entreprise pour apporter un regard différencié, recadrant. Comme le fou du roi, le clown possède cette liberté suprême que permet l’humour. On sait bien que tout intervenant qui entre dans un système fait désormais partie intégrante lui-même de ce système. Comme le fou du roi, le clown qui s’invite sur votre lieu de travail vous dira des choses sur vous que personne d’autre ne peut dire. Caché sous son ridicule nez rouge, sa libre parole transmet le dicible et l’indicible, l’implicite et l’explicite. L’observateur change la chose observée. C’est bien connu, le clown recadre même le désespoir, il est d’ailleurs parfois dit qu’il est l’acteur le plus triste du cirque, mais l’humour n’est-il pas la politesse des désespérés, c’est à dire l’ultime politesse. Et c’est en se moquant de nous, en nous donnant à voir la vanité de certaines de nos conduites que le clown, immiscé dans le système, entraîne une redéfinition même du système.

C’est en regardant un reportage[5] de la RTBF que j’ai découvert le travail de Daisy Croquette. Il faut la voir sortir un marteau de sa besace pour fustiger par l’humour l’autorité par trop contrôlante du manager … « aha…vous voulez le changement mais y a rien qui change ! », dit le clown-manager armé de son marteau ! « Quand ils ne comprennent rien » hop, un coup de marteau ! Et tout le monde est mort de rire, le recadrage a opéré…par la magie du rire.

En réalité, Daisy Croquette n’existe pas. Daisy, c’est Florence Pire, Sociologue, systémicienne, coach. Comme quoi la sociologie mène à tout, à condition d’en sortir. Tout cela est parfaitement sérieux, comme le rire[6]. Clown sociologue, j’en aurai rêvé, Florence Pire l’a fait !

Mais au fait, s’appeler PIRE quand on fait le clown, n’est-ce pas déjà une …histoire belge ?

[1] https://www.linkedin.com/pulse/le-non-agir-du-manager-samia-khallaf?published=t

[2] Histoire relatée dans le livre Essaye encore, Aubry Karine, Boutan Estelle, Enrick.B. Editions, 2017

[3] « « Recadrer signifie modifier le contexte conceptuel et/ou émotionnel d’une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, ou même mieux, aux « faits » de cette situation concrète, dont le sens, par conséquent, change complètement ».  Watzlawick Paul, Weakland John, Fisch Richard, Changements, Seuil Points Essais, 1975 page 116. 

[4] http://www.daisy-croquette.com

[5] https://www.rtbf.be/auvio/detail_le-clown-d-entreprise-la-belge-histoire?id=2200096

[6] Daisy / Florence sera en conférence le 16 mai 2017 pour nos amis belges, inscriptions sur  https://www.weezevent.com/l-humour-au-travail-c-est-serieux

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