Au marché du temple, on chassa les voleurs et les faux monnayeurs. Dans le temple moderne, on adora le bonheur, et on vendit des fausses promesses et autant de fausse monnaie. L’idéologie du bonheur nous a saisis.  Les coachs et les thérapeutes seraient des faux monnayeurs.   

La nouvelle doxa, l’idéologie imposée c’est le bonheur et le bien-être au travail, et son corollaire, une dictature de la bienveillance. Du coup le marché bat son plein. Les fausses monnaies circulent, et on les nomme : sagesses diverses extirpées du fond des traditions, techniques de méditation, vendeurs de bien-être, coachs, thérapies brèves, cabinets de médiation, et autres yogas. Le législateur aussi s’en mêle, qui multiplie lois et garde-fous.

 Mais si les vendeurs sont légions, les acheteurs aussi. Car pour faire un marché, il faut des vendeurs, et des acheteurs !

Plutôt que d’accuser le médecin, il faut nommer le mal.  Jamais la souffrance au travail n’a été un tel enjeu. Les études sont légions qui chiffrent les coûts de la souffrance psychique liée au travail. Parfois des suicides, extrémité insupportable, souvent des « burnout », joli anglicisme pour désigner la dépression réactionnelle.

Réactionnelle à quoi ? A des promesses illusoires, à des attentes irréalistes. Une des demandes les plus récurrentes en coaching est la perte de sens au travail, et ses questions multiples : « je ne suis pas heureux dans mon travail » ou « je m’ennuie dans mon travail ». Mais rechercher le bonheur au travail est en soi une tromperie, génératrice d’attentes si illusoires qu’elles ne peuvent qu’être déçues. Qui a dit qu’il fallait être heureux au travail ? L’injonction au bonheur ou au bien-être, une variante suspecte du bonheur, a souvent pour objectif de protéger l’entreprise, ses mandataires, et ses managers, de poursuites prévues par la loi.

On fera oublier que l’entreprise est avant tout un lieu de production, avec ses contraintes, sa répartition des tâches et des rôles, des interactions nécessaires, où la collaboration obligatoire n’est pas toujours synonyme de coopération[1]. Ni bonheur, ni bien-être, ni amitié. Cela n’a jamais fait partie de la fiche de mission. Sinon, lors de votre prochain entretien d’embauche, demandez donc à votre futur boss de vous signer le contrat du bonheur. Demander le bonheur au travail, c’est comme chercher une paire de chaussures au rayon yaourt de mon supermarché. Aucune chance.

Le bonheur c’est quoi ? La question est vieille comme l’humanité, comme la philosophie. A -t-elle une réponse ?  Le malheur au travail, on peut le décrire : conditions de travail difficiles, harcèlement, objectifs inatteignables, etc. Mais le malheur est-il simplement l’opposé du bonheur, et le mal-être est-il l’opposé du bien-être ? Terribles simplifications, qui ouvrent la voie au marché de la réparation et des interventions parfois inappropriées.

Alors on accusera aisément les coachs et les thérapeutes de surfer sur la vague de la doxa du bonheur. On oubliera les prescripteurs. Ceux qui prescrivent le traitement, et qui sont aussi à l’origine de la pathologie. Sombre cynisme d’une époque.

Une publicité circule actuellement pour un opérateur. Chez XTelecom, on ne vous promet pas ceci, on ne vous promet pas cela, on vous promet juste l’internet. Très juste. Si on vous promet le bonheur, fuyez.  Sinon vous pourriez devenir comme Woody Allen : « Vous vous faites analyser ? Oh depuis 15 ans seulement, encore un an … après j’essaie Lourdes ».

Une chose reste vraie. Parfois les actions correctrices sont débilitantes, et pire que le mal ; « le problème qui requiert un changement se complique de « problèmes » créés par des interventions inappropriées »[2]. Quand on intervient en tant que coach, il ne faut promettre que ce qui est réaliste, réalisable.

L’approche de Palo Alto n’est résolument pas une promesse de bonheur. C’est une simple approche de résolution de problèmes.

Nous ne sommes pas des marchands de bonheur.

Et d’ailleurs, quand même, parlons-en … il est où le bonheur, il est où ? Moi, j’ai bien une idée. Mais je ne peux vous donner qu’un indice.

« Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite,

Le bonheur est le pré, cours-y vite, il va filer »[3]

 

Samia Khallaf

 

[1] Alter Norbert, Donner et prendre, la coopération en entreprise, La découverte, 2011

[2] Watzlawick Paul et al. Changements, paradoxes et psychothérapies, Seuil, 1975.

[3] Paul FORT

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