Réflexions sur le changement

Face à une difficulté, la demande est une demande de changement. Il s’agit de modifier quelque chose qui dysfonctionne. Et si l’on consulte un tiers, c’est souvent quand nous sommes face à une impasse : nos tentatives de régulations personnelles ont échoué. Le travail du coach est de définir quelles sont les tentatives de régulation, et en quoi elles sont inopérantes.

Le changement est certainement aujourd’hui un des sujets les plus abordés, dans toutes les sphères. On peut aisément se hasarder à dire que la notion même de changement est à la mode … et pourtant, beaucoup de questions se posent. Changeons-nous  seulement face à un problème, en situation de crise, ou … sommes-nous en perpétuel changement ?

Le changement, c’est la vie même … « La vie qui engendre la vie, c’est cela le changement »[1]. Nous sommes tous en constante adaptation. Cette adaptation est naturelle, et souvent, elle ne demande aucune intervention, n’implique aucun forçage. La personne que je suis aujourd’hui n’est pas la même que celle que j’étais hier, et ne sera pas la même demain. Le changement n’est pas une donnée brutale, qui advient seulement lorsque des événements nouveaux nous affectent. Le changement est une « transformation silencieuse »[2], au long cours, issue des régulations processives qui accompagnent nos vies. On pense alors à tort que le changement est nécessairement une action « pilotée », décidée. De fait, nous vivons dans un monde où le changement est devenu une injonction, comme s’il était bon en soi, porteur d’une promesse, d’un meilleur. Le changement est devenu dans notre société une valeur, d’ailleurs très normative, avec cette fameuse expression de « résistance au changement » qui voue aux gémonies toute personne ou groupe dont on pense qu’elles sont rétives aux changements.

Néanmoins, la question du changement reste importante quand il s’agit de s’adapter à des situations ou des données nouvelles. Accepter l’incertitude, et décrypter la complexité est œuvre difficile. Beaucoup de questions se posent, quand on aborde un sujet aussi vaste et complexe. Et d’abord la question du pourquoi. Mais est-ce vraiment la bonne question ? La question du pourquoi présente le risque de « psychologisation » ou de pathologisation d’un problème.  En réalité, les questions les plus efficientes ne sont pas celles du pourquoi, mais du « pour-quoi », au sens de « vers-quoi », et surtout celle du comment.

Car quand on aborde la question des modalités du changement, beaucoup d’aspects sont à explorer. Est-il une adaptation ou une transformation plus ou moins radicale ? Quel est le système concerné, et dans quel contexte évolue-t-il ? Dans un contexte donné, comment le changement peut-il accepté, compris, et mis en œuvre ? Quel en est le sens ? Peut-on vraiment accepter ou faire un changement si on n’en comprend pas le sens, s’il peut remettre en cause une partie de notre vision du monde ? Si les acteurs du changement n’y trouvent aucun sens, aucune amélioration pour eux, alors les tentatives de changement sont ratées. Et enfin, à quel moment s’impose la nécessité du changement ?

Pour quelles raisons parfois le changement ne coule-t-il pas de source, et l’adaptation devient-elle difficile ?

L’école de Palo Alto et la sociologie apportent des réponses à ces questions, mais bien entendu, ni les réponses, ni d’ailleurs les questions, ne sont exhaustives, nous pourrions même dire qu’elles sont infinies !

Néanmoins, l’école de Palo Alto, par son approche pragmatique, offre des solutions d’interventions respectueuses de la vision du monde des personnes. L’approche s’accompagne en effet de proposition de tâches à effectuer entre les séances, tâches et actions qui contribueront à changer en premier la perception que l’on peut avoir des choses. Une fois cette perception changée, recadrée, il devient quasiment impossible de revenir à notre ancienne perception, et, de fait, nos comportements, nos réponses face aux difficultés, changent, pour trouver une manière de réguler plus efficiente. « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » disait Pierre Soulages. Les praticiens de Palo Alto pourraient faire leur cette belle phrase.  Il existe en effet un lien étroit entre perception et réaction, et partant, entre perception et action.

L’école de Palo Alto et l’approche sociologique ont ceci en commun qu’elles contextualisent les données du changement. Une bonne compréhension du contexte de l’intervention est importante. Nous agissons tous dans le système (famille, social, amis, entreprise, etc.) dans lequel nous sommes immergés. Et nous le faisons en fonction des informations que ce système nous envoie. C’est pourquoi l’école de Palo Alto a placé l’information au centre de ses recherches. Norbert Wiener, un des pères fondateurs de la cybernétique, une des sciences à l’origine des recherches des maîtres fondateurs de Palo Alto, disait d’ailleurs « Vivre efficacement, c’est vivre avec une information adéquate »[3]. En basant son approche sur une vision relationnelle et interactionnelle de l’être humain, l’approche de Palo Alto évite les pièges de la pathologisation des problèmes, et postule que nos problématiques sont accessibles à des solutions pour peu que nous comprenions de manière adéquate les informations que notre système de référence nous envoie, et celles que nous lui envoyons en réponse. De fait, l’école fait une place importante à la notion de « feedback », ou rétroaction. Car lorsqu’une information est reçue, une autre information est renvoyée à l’expéditeur (cela peut être bien entendu une action), alors l’information renvoyée produit elle-même un effet sur l’expéditeur d’origine … et ainsi de suite. Nous sommes donc bien là dans une vision relationnelle, interactionnelle, et surtout circulaire. Une cause produit un effet, qui en retour reproduit un autre effet, qui produira une cause … on voit bien pourquoi alors, la question du « pourquoi » ceci arrive-t-il n’est pas centrale. Pour faire court, le pourquoi stipulerait qu’une cause produit un effet, et que, en identifiant et comprenant la cause, on peut en annuler ou en modifier les effets. La question centrale est plutôt le « comment » ceci arrive-t-il, et surtout comment, par cette circularité, un problème se maintient.

Le changement passe souvent par une expérience nouvelle, un comportement nouveau qu’il faut expérimenter, afin d’arrêter les tentatives de solutions qui ont mené à une impasse. Si cette nouvelle expérience change une perception, un comportement, alors la voie est ouverte à de nouvelles possibilités de résolution des problèmes. Mais il importe que les expériences proposées n’aillent pas à l’encontre de la vision du monde et des valeurs de la personne concernée. Le changement ne peut être qu’écologique, en ce sens qu’il doit participer à l’équilibre globale d’une personne.

Et que se passe-t-il lorsqu’un comportement change ? Que se passe-t-il quand une pièce du puzzle change ? Vous le savez … tout le puzzle s’en trouve modifié ! inévitablement. Et néanmoins, Paul Watzlawick, qui a le plus théorisé les apports de l’école de Palo Alto, revient largement sur les types de changement dans son célèbre ouvrage « Changement, paradoxes et psychothérapie ». On distingue deux types de changement :

  • Le changement de type 1 : ce type de changement ne vient pas perturber la norme, l’équilibre d’un système ; il s’agit d’une autorégulation, un ajustement, et bien souvent, le résultat de notre capacité naturelle à résoudre des problèmes. Ce type de changement prend place à l’intérieur d’un système qui lui, reste inchangé.
  • Le changement de type 2 : ce type de changement vient établir une nouvelle norme dans le système, dont les règles de fonctionnement sont alors modifiées.

On le voit bien. Tout changement consiste en une nouvelle stratégie, qui entraîne une modification du rapport qu’entretiennent les éléments d’un même système.

C’est pourquoi la méthode de Palo Alto est nommée systémique et stratégique.

 

[1] Yi Jing : Le livre des transformations, Editions Albin Michel, 2012, traduction Cyrille J-D Javary & Pierre Faure

[2] Jullien François, Les transformations silencieuses, Biblio Essais, Livre de poche, 2010

[3] Wiener Norbert, Cybernétique et société. L’usage humain des êtres, Points Sciences, 2014

 

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